Coupes budgétaires (1/2) : l’impact des réductions de flottes

#Défense :
Cet article illustre les impacts déjà notables avec une réduction de flotte de seulement 10%.
Dans les faits de #LPM, les réductions de flottes sont bien plus souvent de l’ordre de -20%, -30% (en premier lieu parce qu’une réduction de 10% n’est pas rentable dans la renégociation de contrat).

 
 

  1. Considérons, pour une flotte, un besoin d’emploi de 3200 h de vol / an.
  2. Le matériel pour cette flotte a une #maintenance périodique de 400 h de vol \ 2 ans
    (un peu comme si votre voiture a une révision à fréquence de 30000 km \ 5 ans)
  3. La maintenance périodique dure 6 mois.
  • Si vous êtes en cas de sous-emploi, c’est la maintenance calendaire qui fera le cycle critique
    –> ce n’est pas judicieux, car vous n’aurez pas utilisé tout votre potentiel
  • Si vous êtes en cas de sur-emploi, ce sont les heures de vol qui feront le cycle critique
    –> là non plus, ce n’est pas judicieux car vous augmentez la fréquence de vos maintenances et donc les immobilisations techniques (les fameux 6 mois)
  • Le point optimal se situe à la jonction des 2.

     
     

    Quel est le potentiel d’heures de vol annuelles, au point optimal, qu’apporte un appareil ?
    –> 160.
    (Eh oui, ceux qui ont pensé 200 ont tort : en calendaire, l’appareil recapitalise 400 hrs tous les … 2 ans 1/2 : 2 ans de cycle calendaire + 6 mois d’immobilisation)
    400 / (2 + 0.5) = 160

      Ainsi, le dimensionnement d’une flotte se calcule comme il suit :
      Hrs_Emploi_Annuel / Potentiel_Annuel = 3200 / 160 = 20 appareils

      ... Alors ce calcul n’est pas tout à fait exact, car il existe des “grandes visites”, par exemple tous les 1600 h \ 10 ans (soit environ toutes les 4 visites périodiques), et d’une durée plus longue, supposons 1 an. (néanmoins, pour faire simple, on va en faire fi dans le calcul de besoin capacitaire).

     
     

    Avec 20 appareils, à un emploi de 3200 hrs / ans, un appareil va faire une entrée en visite tous les 2.5 ans (30 mois) :

  • Sur 5 ans, la flotte aura vécu 40 visites périodiques, soit 2 par machine.
  • Sur 20 ans, une machine aura vécu 6 maintenances périodiques et 1 grande visite.
  • Conséquence : La machine, sur 20 ans, aura subi (au minimum) un total d’immobilisation technique de …
    4 ans (6 x 0.5 + 1 x 1), soit 20% de son cycle de vie
    Cela veut dire également que vous avez au minimum 20% de votre flotte indisponible, soit 16 appareils disponibles maximum.

     
     

    Supposons maintenant, Loi de Programmation #militaire et/ou coupe(s) #budgétaire(s) obligent, finalement le parc est réduit à 18 appareils (soit -10%).
    Quelles conséquences :

    A 18 appareils, la fréquence des visites périodiques est de 27 mois (18 x 400 / 3200).

  • Sur 5 ans, la flotte aura vécu 40 visites périodiques (voir ci-après), soit 2.22 par machine.
  • Sur 20 ans, une machine aura vécu 6 maintenances périodiques et 2 grandes visites.
  • Conséquence : La machine, sur 20 ans, aura subi (au minimum) un total d’immobilisation technique de …
    5 ans (6 x 0.5 + 2 x 1), soit 25%
    Donc au minimum 25% de votre flotte indisponible, soit 13 appareils disponibles maximum.

    Comparaison simple de l'adéquation Potentiel / Utilisation des parcs

      Notons, qu’en cas de sur-emploi, la quantité de maintenances périodiques sur une période donnée n’est pas fonction du nombre de machines, mais du nombre d’heures de vol effectuées :
      Nb_VP[Période] = Nb_Appareils x Période / Fréq_Visites
      = Nb_Appareils x Période / (Capacité_Annuelle / Charge_Annuelle)
      = Nb_Appareils x Période / (Nb_Appareils x Maint_Hrs / Charge_Annuelle)
      = Période / (Maint_Hrs / Charge_Annuelle)

    Exemple, sur 5 ans :
    Nb_VP[5 ans] = 5 / (400 / 3200) = 40

    … Peu importe que vous ayez 20, 18 ou 10 appareils, à 3200 heures de vol, vous effectuerez, sur 5 ans, 40 visites périodiques.

    Ce nombre de visites (tant que c’est le cycle horaire qui fait le chemin critique) n’est pas fonction de la taille de votre flotte, mais de votre niveau d’emploi.

     
     

    Ce calcul a cependant 3 limites :

  • > au point optimal (ici, 20 appareils) : c’est la maintenance calendaire qui fera le cycle critique, et le nombre de maintenances sera fonction du nombre d’appareils
  • La fréquence des maintenances ne peut pas tomber en-dessous du cycle de visite périodique + cycle minimum pour effectuer les heures périodiques
    (ici : 6 mois + nombre de jours minimum pour effectuer 400h (et la maintenance quotidienne), soit, au bas mot, 2 mois mini … donc 8 mois au total, ce qui fait 5 appareils minimum [400 / (8/12)] )
  • Enfin, le présent calcul se limite aux visites périodiques hors grandes visites.
    (Cependant quelques algorithmes plus avancés permettent de pouvoir prendre en compte ce paramètre, mais je vous épargne cette arithmétique)
  •  
     

    … Revenons à notre sujet :

  • Avec 20 appareils sur 20 ans, nous avons :
    20 x ( 20 x (1 – 20%) ) = 20 x 20 x 0.8 = 320 années cumulées de disponibilité (maximum)
  • Avec 18 appareils sur 20 ans :
    18 x ( 20 x (1 – 25%) ) = 18 x 20 x 0.75 = 270 années cumulées disponibilité (maximum)
  • … Soit une baisse capacitaire de plus de 15%, entrainant à long terme des carences capacitaires.

    En effet, à 20 appareils, vous avez une immobilisation technique (mini) de 20%, soit un potentiel opérationnel de 18 appareils.

    En revanche, à 18 appareils, vous avez une immobilisation technique de 25%, soit un potentiel opérationnel de 13.5 appareils ! (18 x 75% = 13.5).

  • Aucune économie dans l’emploi (on l’a vu : le nombre de visites périodiques n’est pas fonction du nombre de machines, dès lors que nous sommes en cas de sur-emploi comme c’est le cas depuis 15 ans)
  •  

  • Une hausse de coûts par machine, par l’augmentation de la fréquence des immobilisations techniques, 25% plus importante (immobilisations passées de 20% –> 25%).
  •  

  • Un vieillissement prématuré de 10% (fréquence des visites = 27 mois au lieu de 30 mois).
    –> Ce qui aura pour conséquence de nécessiter le renouvellement des moyens plus tôt (ex : au bout de 36 ans au lieu de 40 ans), ou engager des surcoûts pour prolonger la durée de vie des matériels (aspect en partie inconnu avec les cellules composites, pour lesquelles on manque de retex sur le vieillissement).
  •  

    Illustration du vieillissement prématuré d'un appareil du fait d'un sur-emploi

     

    J’ai volontairement éludé ici tout aspect non lié à la réduction de parc et qui pourtant influencent le calcul du parc optimal :

  • Calculs avec une charge linéaire (stable et lissée) excluant tout aspect de volatilité de la charge
  • Emploi en #OPEX (qui suppose derrière des visites périodiques plus lourdes et plus longues, du fait de l’usure prématurée de la machines : corrosion, abrasion, usure d’emploi, etc…)
  • Pannes, MCO quotidien (maintenance sur vol, pièces de rechanges, etc…)
  • Retrofit à mi-vie (mais je vais y revenir dans le prochain article)
  • En cas de plusieurs variantes (Caiman Marine, Tigre HAP / HAD
    –> notez que le retrofit des HAP en HAD a permis d’optimiser en réduisant de 80 à 60 le nombre de Tigre)
  •  
     

      Vous l'avez compris, le coeur de la problématique se situe autour du taux de disponibilité.
      Comment se calcule-t-il ?
      Taux Disponiblité = 1 - [ Cycle_Visite / Fréquence_Visites ]
      = 1 - [ Cycle_Visite / (Capacité_Hrs_Flotte / Charge_Hrs_Emploi) ]
      = 1 - [ Cycle_Visite / (Nb_Appareils x Potentiel_H_App / Charge_H_E) ]

    Taux minimum d'Indisponiblité pour un besoin opérationnel de 3200 h / an

    Sans entrer dans dans les explications du Sigma (cf. Loi Normale), il existe un Point de Capabilité en dessous duquel on peut considérer que cela entrainera immanquablement à des carences capacitaires dans l’usage normal de la flotte.
    (Ce point de capabilité, d’après le taux d’indisponibilité, est une approche théorique qui doit nécessairement être confirmé par le Sigma appliqué sur le niveau d’emploi, toutes volatilités comprises)

     
     

    Le jeu en vaut-il la chandelle ?

    1. Financièrement :

      1. On l’a vu, dans un cas de sur-emploi, le coût d’emploi du parc n’est pas fonction de sa taille, mais de son niveau d’emploi
        (souvenez-vous : peu importe que vous ayez 18 ou 20 appareils, au final vous effectuez 3200 hrs / an et effectuez 40 VP sur 5 ans).
      2. Par ailleurs, vous économisez le coût d’appareils neufs
        … toute proportion gardée des coûts non-réductibles (ex : développement) et des frais de renégociation de contrat.

      … Mais, si on suit ces seules logiques, autant réduire les parcs à leur strict minimum (souvenez-vous tout à l’heure : 5 appareils….)

    2.  

    3. Par appareil :

      1. Le ratio coût à l’heure de vol (tout #MCO inclus) / coût d’achat encourage là encore à réduire le parc, d’autant que la LPM ne se projette que sur une période limitée et non pas à terminaison.
      2. Cependant, cela se traduit par une plus faible disponibilité par appareil et donc de la flotte.
    4.  

    5. Opérationnellement :

      1. Le sur-emploi entraine des risques de carences capacitaires du fait d’une fréquence accrue d’immobilisation techniques et donc d’une aggravation de la réduction du parc opérationnel.
        … Jusqu’à atteindre un point de rupture où votre potentiel ne permet pas de satisfaire votre besoin et entraine donc des carences capacitaires comme cela a pu être vécu ces dernières années sur certaines flottes d’hélicoptères (cf. articles sur le MCO et le training).
      2. Le risque de carence capacitaire peut entrainer la perte de qualifications d’équipages, ne pouvant s’entrainer et effectuer leur nombre d’heures de vol annuel requis, ou l’incapacité à former de nouveaux équipages et/ou, pour modérer cet effet, un sous-dimensionnement des moyens en Opex.
      3. Les appareils n’ayant pas encore le don d’ubiquité, leur réduction, agravée par leur sur-emploi, peut entrainer des carences géo-opérationnelles, même si vous disposez pourtant au théorique du potentiel d’heures.
        (ex : c’est parce que la conversion des HAP en HAD permet de n’employer que 3 appareils au lieu de 4 sur un site pour effectuer le même périmètre de missions [ndla : ce qui en réalité n’est pas tout à fait vrai, mais ce n’est pas le sujet], que la flotte Tigre a pu être réduite de 80 à 60 … avant d’être remontée à 67)
    6.  

    7. A terminaison :

      1. Une accélération du besoin de renouvellement de la flotte (dont par ailleurs son potentiel chutera drastiquement, à l’image des Puma) et donc une accélération des besoins en LPM et donc en budget, ce qui est en totale contradiction avec la logique de réduction budgétaires qui demande aux matériels d’être endurants. Ce qui, par ailleurs, vient aggraver l’adéquation budget alloué / budget requis.
      2. Ainsi, les coupes et réductions budgétaires de ces 15 dernières années sont en partie la cause du besoin d’un #Budget à 2% du PIB d’ici 2025. Elles le sont en partie et doublement : du fait des reports d’une part (voir prochain article) et également par l’accélération du besoin de renouvellement des moyens.
      3. Bien avant la terminaison, il y a les Retrofit à mi-vie qui, du fait de l’accélération du vieillissement ne sont plus alors à un temps optimum pour la flotte, mais ça nous le verrons dans le prochain article…
    8.  
       

        A suivre : Coupes budgétaires : l’impact des étalements de programmes

       

      (c) Julien Maire.

    Julien Maire

    Spécialisé dans l'amélioration et la coordination industrielle, avec plus de 15 ans dans le secteur aéronautique & défense.

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